Le service Connaissance et Inventaire des Patrimoines de la Région Occitanie a entrepris en 2019 l’inventaire de la ligne ferroviaire Béziers/Neussargues ou « ligne des Causses ». Cette opération de longue haleine, qui a débuté avec l’étude du dépôt-ateliers de Béziers, revêt une ampleur inédite. L’aire d’étude embrasse en effet un patrimoine linéaire de près de 300 kilomètres de longueur traversant quatre départements, Hérault, Aveyron, Lozère et Cantal, relevant de deux régions administratives : Occitanie pour les trois premiers et Auvergne-Rhône-Alpes pour le quatrième.
C’est en ces termes que Philippe Marassé présente l’imposant travail d’inventaire patrimonial en cours de la ligne Béziers-Neussargues dans la revue Patrimoines du Sud. De même que les somptueuses photographies anciennes de suivi de chantiers apportent à l’historien de précieuses informations sur la construction de la ligne, la photographie est l’outil indispensable pour en dresser aujourd’hui l’état des lieux et l’inventaire patrimonial.
Textes et entretien : Philippe Deblauwe. Photographies : Amélie Boyer / Inventaire général Région Occitanie.
Introduction à la photographie d’inventaire
La photographie d’inventaire est un genre à part entière ou – plus exactement – une pratique photographique documentaire à la croisée de la photographie d’architecture et de paysage. Avant de donner la parole à Amélie Boyer, chargée de la couverture photographique Béziers-Neussargues, et de vous dévoiler son carnet de bord, tâchons de cerner les spécificités de la photographie d’inventaire et de situer la ligne de partage entre son versant scientifique et son versant artistique.
Le centre d’interprétation du patrimoine (CIP) de La Seigneurie (Bas-Rhin) l’affirme dans une publication Facebook (1) : « La photographie d’Inventaire a avant tout un rôle documentaire. Le photographe s’efface derrière l’objet qu’il reproduit de la façon la plus fidèle possible. Pas question donc de démarche artistique : c’est la forme objective de la photographie qui compte ! » Cette définition rejoint celle publiée par le Service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire dans l’article Une photo d’inventaire, pourquoi, comment ? (2) : « Une photo d’inventaire est une photo scientifique. Elle résulte de la rencontre du souhait d’un chercheur et du savoir-faire d’un photographe. (…) La photographie d’inventaire est avant tout une photo documentaire. L’objectif est de montrer les structures telles qu’elles sont, le plus objectivement possible. « Le photographe répond à la demande du chercheur et son but est moins de faire transparaitre sa personnalité que de restituer une bonne lisibilité de l’objet photographié », explique Thierry Cantalupo. »
Lors d’un entretien réalisé avec Philippe Marassé en février 2024 celui-ci nous confirme : « Amélie Boyer, nous accompagne systématiquement sur le terrain, puisque je guide en somme, et Amélie Boyer photographie et se charge, suivant la terminologie du service, de la couverture photographique. (…) La photographie d’inventaire c’est une photographie documentaire. Donc ce n’est pas de la photo d’art, avec des effets de brume, d’ombres et lumières. »
A priori la messe est dite : la visée scientifique et l’objectivité attendue de la photographie d’inventaire ne laisseraient pas de place à la subjectivité, à l’imaginaire ou au geste artistique. Qu’en est-il vraiment ? Bien que s’appuyant sur un dispositif technique et du matériel de plus en plus performant, la praxis du photographe n’en demeure pas moins une chaine d’actions artisanales. Les images qu’il produit, quel qu’en soit le protocole, n’échappent pas à la polysémie des signes, à l’interprétation du lecteur, à l’irruption du vivant et de la poésie. Une photographie est un secret sur un secret, disait la pionnière de la photographie documentaire, Diane Arbus.
Les uns et les autres nuancent effectivement le propos. Pour le Service Inventaire du Centre-Val de Loire (2) « Le photographe est l’expert qui va traduire la démonstration du chercheur en image grâce à la composition et à la technique. (…) De retour au bureau, le photographe effectue une première sélection de photographies répondant aux demandes du chercheur. Celles sélectionnées bénéficieront d’une post-production numérique. Toutes ces étapes réalisées par le photographe apporteront, inévitablement, une légère subjectivité au document. » Tandis que le CIP de La Seigneurie va plus loin et note (1) « Un tournant en la matière s’est d’ailleurs amorcé ces dernières années : un parti pris plus artistique permet aujourd’hui de produire des documents de qualité tant scientifique qu’esthétique ».
Ce tournant récent, observé par La Seigneurie dans l’approche de la photographie d’inventaire, répond en partie aux évolutions du périmètre d’étude et de valorisation patrimoniales vers des modalités moins évidentes, lequel s’est notablement élargi ces dernières années en s’ouvrant aux patrimoines immatériels et patrimoines perdus. Rappelons également le rôle éminent joué par l’École de Düsseldorf ou École Becher (3), dont l’influence a profondément transformé les paradigmes de la photographie moderne et a donné ses lettres de noblesse artistiques à la photographie documentaire et aux démarches d’inventorisation.
Entretien avec Amélie Boyer
AubracExpress : Bonjour Amélie Boyer. Vous êtes photographe pour la Région Occitanie, rattachée au service Inventaire et Connaissance des Patrimoines. Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi consiste votre travail ?
Amélie Boyer : Nous sommes deux photographes : David Maugendre qui est basé à Montpellier et moi-même, à Toulouse. Nos missions sont d’étudier, recenser et faire connaître le patrimoine de la région. En tant que photographes nous partons sur le terrain dans toute la région Occitanie pour illustrer les études des chercheurs et alimenter la photothèque, soit pour des publications et illustrer l’étude, soit pour des opérations d’urgence, lorsqu’un bâtiment s’écroule par exemple, nous le documentons avant démolition.
AE : Qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement dans votre travail ?
A.B. : On est tout le temps sur la route, on découvre des choses nouvelles en permanence, on a accès à des lieux qui sont inaccessibles aux visiteurs. Nos photos sont publiées dans des livres, des articles. On a la possibilité de se former.
AE : Quand a été initié le travail de couverture photographique de la ligne Béziers-Neussargues ?
A.B. : En 2019, suite à une demande nous avons réfléchi avec monsieur Marassé, Vérène Charbonnier et Lisa Caliste à comment inventorier cette ligne, et avons décidé, de faire une première journée de repérage à bord du train pour visualiser la totalité de la ligne. Nous sommes donc partis dans la cabine du conducteur en faisant un trajet aller-retour. C’était intéressant parce qu’on avait les ouvrages d’art, directement face à nous. Ensuite on a divisé le tronçon en cinq parties et avons prévu deux fois trois jours de terrain, sur différentes saisons, pour aller photographier ces ouvrages d’art, mais cette fois depuis le sol et non pas à bord du train.
Et aujourd’hui, où en êtes-vous de ce travail ?
La campagne de couverture photographique est presque finie. Il manque quelques prises de vue en drone, quelques photos d’objets et compléments de prises de vue, mais ça se fera en fonction de la publication. Il manque aussi les 14 sous-stations électriques.
Justement, parlons des types de photographies réalisées dans le cadre de cette campagne : il y a des photographies aériennes équipées d’un drone, des photographies des infrastructures et des paysages, des prises de vue au sol des bâtiments…
Oui, au Service Inventaire nous faisons de la photographie documentaire et scientifique, incluant photographies d’architecture, d’objets et de paysages. Et là, dans l’inventaire du patrimoine ferroviaire, on a aussi intégré le portrait, ce qui est rare. La thématique ferroviaire est intergénérationnelle et concerne tout le monde. Pour moi, s’il y a une chose à retenir de cette campagne, c’est à quel point tout le monde est intéressé et a quelque chose à raconter sur le patrimoine ferroviaire et, du coup, on se rend compte que la mémoire de ce patrimoine, c’est aussi les gens qui habitent et qui ont travaillé sur cette ligne. Au fur et à mesure de la campagne on s’est donc mis à faire des portraits des gens qui y travaillaient, du personnel SNCF, des anciens chefs de gare mais aussi des personnes qui utilisaient la ligne, alors qu’habituellement on a très peu d’humains sur nos images.
À quel moment de la campagne avez-vous décidé de réaliser ces portraits ? Qu’est-ce qui en a été le déclencheur ?
Ça n’a pas été fait dès le début, mais c’est venu naturellement. En Aveyron, nous dormions dans une chambre d’hôte à Montpaon. La nouvelle que nous étions là pour travailler sur la ligne a vite fait le tour du village qui s’est retrouvé à l’apéro le soir pour nous raconter des anecdotes sur la ligne de train. Comme tout le monde se connait, un des habitants a appelé l’ancien chef de gare de la ligne et nous a dit : « Je vous reçois demain matin à neuf heures. Venez prendre le café pour l’interroger et photographier la gare. » Le lendemain l’ancien chef de gare était au rendez-vous en tenue. Il avait fière allure avec son uniforme et c’est à ce moment-là qu’on a commencé à faire des portraits en situation des personnes qui travaillaient sur la ligne.
Carnet de bord sur la ligne Béziers-Neussargues par Amélie Boyer
13 novembre 2019, 9h55
Depuis la cabine du conducteur, à 85km/h en route vers Neussargues :
Lisa, Vérène, Monsieur Marassé et moi-même sommes aujourd’hui en gare de Béziers. Nous montons à bord du train pour découvrir la ligne Béziers-Neussargues. Le conducteur nous invite à accéder à sa cabine pour pouvoir photographier les ouvrages d’art. J’attrape mon 5D Mark IV muni d’un objectif 24-70mm et me focalise sur l’architecture de la ligne. C’est parti pour l’aventure : 5h30 de trajet aller pour inventorier tous ces éléments à travers la vitre ! L’espace est réduit, nous sommes à 85 km/h, il faut jongler entre les essuie-glaces et le bord des fenêtres mais la vue est incroyable pour capturer les ponts et viaducs de face !
13 novembre 2019, 16h19
Le train en gare de Marvejols :

Après avoir traversé les départements de l’Hérault, de l’Aveyron et de la Lozère, nous quittons la Région Occitanie pour poursuivre par le Cantal en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous arrivons au terminus de la ligne, en gare de Neussargues. J’ai sur ma carte mémoire plus de 1000 images ! Le conducteur a terminé sa journée et passe la main à un autre collègue. Après dix minutes de pause, nous remontons dans l’automotrice et regagnons nos sièges pour repartir tranquillement en terre biterroise.
16 février 2021, 11h39
L’équipe de l’Inventaire général prépare l’itinéraire en gare de Béziers :

Après le repérage de la ligne à bord du train en 2019, la campagne photographique a été mise entre parenthèses en 2020 à cause du COVID. Nous commençons les prises de vue au sol en 2021. On divise cette ligne ferroviaire de 277 km en cinq tronçons : Béziers-Les Cabrils / Ceilhes-Millau / Millau-Sévérac-le-Château / Sévérac-le-Château-Aumont et enfin Aumont-Neussargues. Nous prévoyons deux séjours de trois jours pour chaque tronçon. Il est difficile d’estimer le temps de travail sur place à cause des imprévus en cours de route. Bienvenue en gare de Béziers ! Monsieur Marassé, notre ferroviphile en chef, est aux commandes avec Lisa. Vérène, munie de notre précieuse feuille de route qui recense l’ensemble des ouvrages d’art, coordonne l’opération. Maintenant, il ne reste plus qu’à les retrouver…
16 février 2021, 14h58
Guichet et poste de contrôle en gare de Bédarieux :
Manque de pot, il ne fait pas beau ! Il est impossible d’anticiper la météo, nous adaptons en permanence notre parcours. Quand il fait gris, on privilégie les intérieurs : direction la gare de Bédarieux. Je réalise ainsi un reportage complet des intérieurs de la gare : hall, guichet, plaque… Contrairement à la gare de Béziers, il n’y a pas un bruit. La gare est calme, même vide. Étant donné que c’est une ligne en activité, faut-il privilégier des vues avec des voyageurs ? Pas de voyageurs en vue. Nous rencontrons l’équipe en poste qui nous fait visiter le bureau de l’agent de mouvement. Avec son accord, je photographie l’ensemble des objets liés à la ligne. Architecture et mobilier, cette thématique regorge de différents domaines de photographie !
17 février 2021, 11h13
Ancienne gare de Ribaute-les-Lieuran et l’intérieur de la gare conservé avec les inscriptions « Arrivages – Expéditions » :
Aujourd’hui, il fait un temps magnifique, un beau ciel bleu avec une atmosphère hivernale ! Nous trouvons facilement l’ancienne gare de Ribaute-lès-Lieuran. Je débute par une couverture complète de l’édifice depuis la voie publique (vue de la gare dans son environnement, vues frontales de chaque façade, détails de l’architecture). L’Inventaire général c’est très normé, nous parlons de photographie documentaire et scientifique. Il est important de répondre à une commande précise pour pouvoir illustrer les propos du chercheur tout en apportant son propre regard. Je suis devant l’entrée de la gare quand je vois un monsieur sortir de la maison et se diriger vers moi. Le trépied impressionne toujours, parfois on me prend pour une journaliste, parfois pour un agent immobilier ! Nous lui expliquons nos missions qui sont de « recenser, étudier et faire connaitre » le patrimoine régional et le cadre de l’étude de la ligne Béziers-Neussargues. Celui-ci, ravi, nous ouvre les portes de sa gare ! L’intérieur a été préservé et est resté dans son jus, on retrouve même les inscriptions rouges « Arrivages/Expéditions ». Ce n’est que le début de nombreuses découvertes inattendues !
17 février 2021, 16h23
Vue extérieure de l’ancienne gare de Laurens et reconstitution du lettrage du nom de la gare :
En parlant de découvertes inattendues, nous voilà à la gare de Laurens qui a été transformée en maison d’habitation. La douce lumière hivernale éclaire les abords de la ligne. Les propriétaires nous ouvrent et partent chercher les lettres d’origine qui forment le nom de la gare de Laurens. Nous voici dans le jardin en train de remettre en ordre les caractères en tôle autrefois apposés sur le bâtiment.
17 février 2021, 17h02
PN10 (passage à niveau n°10) :

Après avoir photographié les ponts métalliques, les gares d’Espondeilhan et de Magalas ainsi que les différentes maisons de garde-barrières au milieu des vignes, nous terminons notre journée par le passage à niveau n°10. En hiver, les journées sont courtes, le soleil se couche tôt mais c’est la meilleure période pour pouvoir lire l’architecture avant que la végétation printanière ne prenne place.
23 février 2021, 16h10
Extérieur et intérieur du tunnel de Tourbelle :
La route se poursuit depuis Bédarieux où se trouve le musée du rail qui rassemble des objets de la ligne et une immense maquette du réseau ferroviaire en pays bédaricien. Nous rencontrons un grand nombre de passionnés de chemin de fer qui connaissent la ligne sur le bout des doigts. Heureusement car sinon nous aurions mis beaucoup plus de temps à trouver l’entrée du tunnel de Tourbelle qui se trouve sur le tracé primitif, aujourd’hui abandonné, de la ligne Graiguessac mais qui est accessible à pied ! Nous sommes dans l’obscurité totale, on aperçoit au loin un puits de lumière qui doit être le bout du tunnel. Pause longue, éclairage portatif, place à la technique de l’open flash pour éclairer l’intérieur de la galerie ! C’est dans la boîte, nous poursuivons la campagne photographique en lumière naturelle.
24 février 2021, 14h54
En attendant le passage du train sur le viaduc de Coste-Calde :

La taille des ouvrages d’art est parfois conséquente, notamment celle des viaducs ! Nous parcourons les alentours pour trouver le meilleur point de vue à l’aide d’une carte routière et de notre GPS. Au milieu de l’après-midi, ce viaduc est exposé Sud. Une douce lumière provenant de la droite devrait éclairer cet ouvrage. Je grimpe sur une murette pour prendre de la hauteur pendant que mes coéquipiers surveillent l’heure de passage du train… Les minutes sont longues, nous entendons tout à coup le bruit du train et le voici qui traverse le viaduc en quelques secondes ! Batteries chargées et mode rafale obligent.
24 février 2021, 15h10
Ancien hôtel de la gare à Bédarieux :

De retour à Bédarieux, la façade de l’ancien hôtel de la gare exposée Nord-Ouest est parfaitement éclairée. L’édifice est situé sur la rue principale de la ville, il y a du passage mais une fois le cadrage fait il suffit d’avoir une trouée entre deux voitures. Par contre, nous sommes régulièrement confrontés à un problème : les voitures stationnées devant les bâtiments. Parfois elles sont très gênantes et perturbent la lecture de l’édifice, parfois elles s’intègrent dans le paysage architectural comme ici. Lorsqu’on regarde les photographies anciennes, on reconnait régulièrement une 4L ou une 2CV, la voiture est aussi un élément datant sur les photographies du patrimoine.
25 février 2021, 14h27
En sursautant au bruit du train :

Parfois nous cherchons des points de vue pour saisir le train sur un ouvrage d’art, parfois nous ne nous y attendons pas et le bruit du train nous surprend ! Au cœur de la vallée, je prends le temps de poser mon trépied et prépare mon cadrage pour photographier une maison de garde-barrière avec mon 24mm à décentrement. Tout d’un coup, le bruit du train nous fait sursauter ! « Il arrive ! » crient mes collègues… J’attrape mon 24-70mm pour changer au plus vite mon optique et bondis sur le côté de la voie ! Tout est une question de temps : « prendre le temps » et « être à temps ».
25 février 2021, 14h40
La petite maison garde-barrière du PN27 avant Les Cabrils :

Après le passage de ce train inattendu, nous reprenons la route vallonnée en direction de la gare des Cabrils. Sur les hauteurs, un magnifique point de vue s’offre à nous. Nous apercevons le viaduc métallique de l’Usclade et cette maison de garde-barrière dans son paysage. La campagne photographique de la ligne dans le département de l’Hérault se termine par la gare des Cabrils.
17 mars 2021, 9h57
Gare de Montpaon (Aveyron), actuellement halte et maison d’habitation et son ancien chef de gare, M. Pierre Peytavin :


En route vers l’Aveyron ! A la mi-mars, nous documentons le deuxième tronçon de la ligne. Nous logeons dans une chambre d’hôtes dans le village de Saint-Jean-et-Saint-Paul durant deux nuits. Après une première journée de prises vues, nous sommes attendus pour partager le repas avec les hôtes et parler bien évidemment de la ligne Béziers-Neussargues ! Chacun raconte une anecdote sur la ligne, des souvenirs surgissent… Puis l’hôte nous demande « quel est votre programme de demain ? » Notre trajet est toujours bien défini la veille pour le lendemain mais il se passe rarement comme prévu. Nous lui indiquons que nous devons revenir sur nos pas pour photographier le pignon Est de la gare de Ceilhes-Roqueredonde pour ensuite aller à Tournemire et Montpaon. « Montpaon ! » s’exclame-t-il, « Je connais l’ancien chef de gare, je l’appelle de suite ! ». Le voilà qui nous dégote un rendez-vous avec les propriétaires de la gare de Montpaon le lendemain à 9h pour boire le café. Changement de programme, après une bonne nuit de sommeil, nous partons au petit matin rencontrer ce couple. Arrivés sur place, l’ancien chef de gare n’a revêtu sa tenue qu’avant notre départ. C’est à ce moment-là que je me suis demandée s’il n’était pas important de photographier les agents qui travaillent ou qui ont travaillé sur cette ligne. Leurs témoignages sont précieux, ils font partie de l’histoire de la ligne et transmettent aux générations futures leurs savoirs. De retour à la chambre d’hôtes, la nouvelle de l’étude de la ligne s’est propagée dans le village. Les habitants viennent nous apporter leurs archives (plans, photographies anciennes…). Je photographie le lendemain l’ensemble de ces documents. Je m’aperçois que cette ligne est intergénérationnelle, petits et grands sont sensibilisés au maintien et à l’importance de cette voie ferrée.
25 mars 2021, 13h27
Le personnel SNCF en gare de Millau :


A l’Inventaire général, il est bien rare de photographier des personnes. Néanmoins, je décide de poursuivre cette série de portraits par les agents de la SNCF qui font eux aussi partie du monde ferroviaire. Quelques minutes d’arrêt sur le quai de Millau me permettent de prendre en photographie l’agent descendant du train avec ses valises et celui resté à bord pour poursuivre le voyage.
21 septembre 2021, 13h15
Gare d’Aguessac :

Petite pause estivale dans la campagne de prises de vues. La lumière en plein été est dure, les contrastes sont très marqués, nous reprenons donc la campagne photographique le dernier jour de l’été, le 21 septembre. Nous avons couvert à l’hiver et au printemps derniers les deux premiers tronçons de la ligne, nous terminons l’Aveyron pour rejoindre la Lozère. Arrivés en gare d’Aguessac, on tente de rencontrer le propriétaire de la gare. Cette ancienne gare aujourd’hui habitée est actuellement un atelier de potier et le propriétaire nous accueille avec plaisir. Il nous fait part de son attachement à la gare et de son habitude à écouter le train qui passe.
21 septembre 2021, 14h19
Le viaduc de Vézouillac au fin fond de la vallée :

Après la gare d’Aguessac, nous déjeunons aux abords de la ligne. Nous mangeons un sandwich sur le pouce en attendant que le train arrive, puis nous partons chercher ce fameux viaduc. Nous le situons bien mais impossible de trouver un point de vue qui le mette en valeur. Après avoir emprunté de multiples chemins, il nous en reste qu’un à tenter. Un chemin caillouteux mais qui semble arriver en contrebas du viaduc. La pente est raide, très raide ! Nous descendons doucement, et nous l’apercevons en contre-plongée. La montée fut rude voire périlleuse, mais c’est dans la boîte !
21 septembre 2021, 16h33
Quai de Sévérac-le-Château :

Nous terminons la journée de prises de vue en gare de Sévérac-le-Château. L’entrée de la gare est complètement cachée par le feuillage des platanes. Il est préférable d’illustrer la façade côté voies. Les lignes droites et la répétition des ouvertures m’amènent à concevoir un cadrage graphique et symétrique du quai.
22 septembre 2021, 9h09
Ancien dépôt et wagon réformé et l’équipe de l’Inventaire sur le terrain :
Au petit matin, nous retournons à Sévérac-le-Château pour compléter la couverture photographique des abords de la gare. Au loin, nous apercevons dans le paysage l’atelier de l’ancien dépôt des locomotives avec un wagon abandonné. L’endroit parfait pour faire une photographie de l’équipe sur le terrain.
22 septembre 2021, 10h00
La voie ferrée dans son environnement paysager :

Cette ligne traverse des paysages très variés qui prennent une allure différente selon les saisons. Au fil des campagnes de prises de vue, nous documentons la ligne dans son environnement paysager. Ici même, au col de Lagarde, nous nous trouvons à 813 mètres d’altitude.
22 septembre 2021, 11h37
Cartouche de la gare de Campagnac-Saint Geniez :

Sur ces trois jours, nous logeons dans un hôtel en face de la gare de Campagnac-Saint Geniez. On se trouve en pleine campagne, loin du village mais pourtant un grand nombre de passagers s’y arrêtent ! Le restaurant propose une cuisine locale avec de très bons produits de l’Aveyron. Un lieu de passage agréable et chaleureux qui permet aux locaux de s’y retrouver et aux voyageurs de faire escale.
22 septembre 2021, 16h17
Annexe de l’ancienne remise à locomotives de Saint-Laurent-d’Olt :

La journée se termine par la couverture photographique de l’ancienne gare de Saint-Laurent d’Olt et ses installations (bâtiments des voyageurs, halle à marchandises, annexe de l’ancienne remise à locomotives, réservoir, logements pour le personnel transformé en maison d’habitation). Les propriétaires, le père et son fils, nous surprennent devant leur maison, c’est autour d’un café qu’ils nous racontent leurs parcours (le père fut chef de gare à Saint-Laurent d’Olt dans les années 1940 !) et nous font entrer pour photographier les intérieurs. Le soleil est au rendez-vous, nous poursuivons notre chemin. Impossible de trouver une petite halte indiquée dans notre feuille de route, nous continuons donc par les PN90 et PN94.
23 septembre 2021, 8h39
Halte de Tarnesque :

Nous prenons le petit-déjeuner à l’hôtel avant d’entamer la journée. Les locaux viennent prendre le café avant de partir travailler. Nous en profitons pour demander à l’un d’eux s’il connait le chemin à suivre pour aller à cette halte qui est fermée que nous avons cherchée désespérément ! La journée débute bien : « Prenez votre matériel, je vous y amène de suite ! ». Un café, le matériel sur le dos et on grimpe dans la voiture pour suivre au pas ce monsieur dans sa camionnette blanche. Le ferroviaire c’est tout terrain, c’est pourquoi je demande toujours un grand véhicule assez haut ! Nous empruntons un petit chemin de terre, il y a des herbes hautes qui dépassent le capot mais nous finissons par arriver ! La lumière douce du matin éclaire cette halte en bordure de la voie.
23 septembre 2021, 11h10
Encore une halte cachée :

Après quelques passages à niveau, nous arrivons en Lozère, en gare de Banassac-La Canourgue. Nous recherchons ensuite une autre ancienne halte, Auxillac-Montjézieu. Cette fois-ci impossible d’y accéder en véhicule. Nous repérons un chemin sur un plan, et nous voilà partis à pied en espérant être sur la bonne voie ! Le chemin est difficile d’accès, des troncs d’arbres et des ronces barrent le passage. On finit tant bien que mal par se faufiler pour apercevoir en contrebas le toit de la halte. C’était le bon chemin. L’abri est minuscule mais nous pouvons y entrer? Je suis en place et par chance, le train arrive ! Chemin inverse puis nous continuons vers Marvejols.
1er mars 2022, 15h27
Le viaduc de Triboulin :

L’automne étant très pluvieux, nous entamons le quatrième tronçon de Marvejols à Arcomie en mars 2022. Venant de Toulouse, je retrouve mes collègues en gare de Marvejols. La lumière est belle, les ouvrages d’art sont dégagés et bien éclairés. C’est presque trop beau pour être vrai ! Nous arrivons dans un hameau pour trouver un chemin qui mènerait au viaduc de Triboulin. Nous ne le repérons pas sur la carte. Dans ce hameau, il n’y a pas un chat. Nous tombons sur un chemin qui pourrait nous y conduire, on ne sait pas où on va mais on y va… Le chemin est étroit, nous faisons des bonds et nous finissons à pied par peur de ne pas pouvoir faire demi-tour. Nous passons sous le viaduc. Les arbres sans feuillage permettent de percevoir la maçonnerie. Nous repartons, fiers de notre trouvaille. Par contre, impossible de faire demi-tour, nous nous sommes embourbés ! A notre droite se trouve du barbelé et à notre gauche il y a un ruisseau. Après quelques temps, c’est parti sur un bon kilomètre en marche arrière ! Les joies de l’inventaire…
2 mars 2022, 8h57
Gare de Saint Sauveur-de-Peyre :

Sur ce périple, nous logeons à l’hôtel de la gare à Marvejols. Autant rester dans la thématique du ferroviaire pour être en immersion et s’approprier le sujet. Saint-Sauveur-de-Peyre, Aumont-Aubrac… nous sommes dans un inventaire linéaire et systématique. On pourrait se dire que c’est répétitif et monotone. En fait chaque ouvrage d’art diffère du précédent. Les bâtiments offrent aussi des variantes. Enfin, l’atmosphère qui s’y dégage est propre à chaque lieu.
2 mars 2022, 15h55
PN124 avant la gare d’Arcomie :

Après Saint-Chély d’Apcher, nous photographions le dernier passage à niveau avant de rejoindre la gare d’Arcomie. La voie ferrée offre de multiples jeux graphiques avec l’ondulation des rails, les fils des caténaires, l’architecture ferroviaire et la végétation au loin.
19 avril 2022, 14h51
Passage d’un train de marchandises sur le viaduc de Garabit :

Nous terminons la couverture de la ligne Béziers-Neussargues par le Cantal. Nous quittons la Région Occitanie pour entrer en Auvergne Rhône-Alpes. Nous photographions le célèbre viaduc de Garabit, construit par Gustave Eiffel, au moment de son franchissement par le train de desserte de l’usine ARCELOR à Saint-Chély-d’Apcher.
27 avril 2022, 12h32
Bienvenue en gare Neussargues, terminus de la ligne :

Saint-Flour, Talizat, et nous voici arrivés en gare de Neussargues. Quelle belle aventure humaine et photographique ! Maintenant il y n’y a plus qu’à sélectionner, traiter, archiver et intégrer ces images dans notre base de données pour ensuite les légender et écrire un livre sur la ligne Béziers-Neussargues.
Ligne des Causses :
Fruit d’une collaboration entre le Service Connaissance et Inventaire des Patrimoines de la Région Occitanie et la Compagnie Gérard Gérard, l’exposition « Au fil de la ligne » signée Amélie Boyer et Alexandre Moisescot a été dévoilée au public à Séverac-le-Chateau en 2023.
Cette publication numérique de la Région présente également la création par la Cie Gérard Gérard du spectacle « Attention aux départs » dans le cadre du projet de territoire « Aubrac Express » porté par l’association Eurek’Art.
Une belle émulation entre démarches scientifiques et artistiques pour valoriser la ligne des Causses.
NOTES
- (1) La photographie d’inventaire : l’oeil de Claude Menninger, publication du CIP La Seigneurie (7/10/2010)
- (2) Une photo d’inventaire, pourquoi, comment ?, article publié par le Service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire(18/12/2023)
- (3) L’école de Düsseldorf et la naissance de la photographie moderne, article publié par Composition Gallery (05/05/2022)
ALLER PLUS LOIN
- À lire, le passionnant et truculent récit d’une journée d’inventaire patrimonial sur le terrain en compagnie du photographe Stéphane Asseline : Le 16 février 1999 : une journée comme les autres à l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Politiques de la Culture / Isabelle Duhau, Chef de projet, Mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel, Direction générale des patrimoines – Service du patrimoine, Ministère de la Culture (16/02/2019)
- La photographie, œuvre ou document ? Le regard de Stéphane Asseline, photographe à l’Inventaire Général du Patrimoine, article signé Karin Guibert publié par amc-archi.com (26/10/2017)
- De la photographie du patrimoine culturel : l’expérience de l’Inventaire général, article signé Arlette Auduc publié dans Patrimoine photographié, patrimoine photographique (PDF 4,1 Mo – 149 p.) , Raphaële Bertho, Jean-Philippe Garric et François Queyrel (dir.), Publications de l’Institut national d’histoire de l’art (2013)
- De la photographie descriptive à la photographie interprétative, regards croisés pour un inventaire professionnel du patrimoine culturel (PDF 16 Mo – 35 p.), Isabelle Duhau chercheur, service Patrimoines et Inventaire, Région île-de-france
- Illustrer (PDF 201 ko – 2 p.), article de Philippe Vergain paru dans L’Observatoire 2014/2 (N° 45), pages 72 à 72 Éditions Observatoire des politiques culturelles
- 50 ans de photographie documentaire professionnelle en Région Centre-Val de Loire, article signé Thierry Cantalupo, photographe au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
- À découvrir : le magnifique Atlas des Régions Naturelles, projet d’inventaire photographique au long cours des artistes Nelly Monnier et Eric Tabuchi.
- La mission photographique de la DATAR, présentation de la commande publique historique sur Wikipedia
DIAPORAMA
Visionnez l’intégralité les photographies du carnet de bord d’Amélie Boyer en diaporama :